Une société privée dont l’activité se situe dans le champ du transport maritime traverse une crise interne due à la gestion de la charge de travail. Les ressources humaines font appel à une agence de problem solving afin que les membres puissent imaginer un nouveau équilibre d’équipe et une nou- velle distribution des tâches. Au sein de l’agence de problem solving, l’équipe alterne des exercises en groupe et des temps d’écoute individuelle. Les notions de productivité et de liberté – temps libre – sont abordées sous l’ongle d’une perspective subjective, la démarche étant celle de de valoriser l’expression personnelle dans le but de fabriquer un consensus feint.
Consensus est tout d'abord un script, à entendre comme un terrain de jeu où la dichotomie entre la subjectivité et l’objectivité est menée à son paroxysme. Les personnages, Abel, Elly et Manuel, parlent d’une manière très subjective avec Eliza qui à son tour mime une fausse objectivité. Elle est une voix artificielle, générée par un code javascript, qui analyse les mots des personnages et les incites à ap- profondir davantage leurs formulations par le biais d’un effet miroir. Cette disparité est à prendre en compte, les dialogues sont joués tout en explorant, en questionnant cette double opposition entre lan- gage naturel et artificiel, objectivité et subjectivité. Les échanges, audibles sur caques, sont présentés au sein d'une installation où chaque objet (aquariums, pompes à oxygènes, assises, poster, questionnaires) devient élément scénographique.
✽ Abel
Il vit dans une zone périurbaine, dans un bâtiment à trois étages. Depuis la fenêtre de son appartement, il voit des arbres mais derrière on aperçoit les voies du RER A, alors il y a toujours du mouvement. Le dernier train passe à 1h35, des fois quand il le voit passer et il se retrouve en train de penser que c’est la fin de la journée. Lui, il est toujours en mouvement. Son attention se déplace rapidement d’objet en objet, il guette, il cherche, la plupart du temps sans avoir un critère de pertinence défini, alors ses pensées ne peuvent être cataloguées d’après une quelconque taxonomie. Il habite le flux, il pense comme il respire. Et il nage rapidement dans ses pensées, ses pensées lui donnent des branchies. Quand il doit se souvenir de quelque chose, il s’accroche à la vue, à l’ouïe, au toucher. Une fois il a googlé la définition de P.H.S. [n.d.r., Personne Hautement Sensible], puis il a laissé tomber. De toute façon, il ne croit pas à ces choses-là. Une autre taxonomie, un autre série de boîtes à rangement. Et le fait de ranger, d’établir un ordre, des rapports de causalité le crispe un peu. Quand il aperçoit le dernier train rouler sur les voies, il se dit que la journée est terminée, le flux et suspendu. Stop. Il est account manager. Au travail, cette difficulté de coordination lui a toujours posé problème. Il adore travailler, il est très actif, mais en équipe il a toujours eu du mal à se positionner, à dire la bonne chose au bon moment. Quand il est sous pression, il se retrouve à prendre des décisions, après tout c’est son rôle, mais il a rarement le réflexe de contextualiser avec le reste de l’équipe les raisons de ses choix. Une analyse excessivement détaillée ne facilite pas la gestion des données. Certains jours, en voyant le dernier RER rouler sur les voies il est surpris que la journée soit déjà terminée. Il a l’impression de ne pas avoir produit grande chose, mais alors, comment se sentir essoufflé quand on n’a pas produit grande chose ? Il n’a plus le temps de penser. À 1h45, il va se coucher.
✽ Elly
Elle est habitée par le sens du défi. Petite, elle aimait bien provoquer les adultes, mimer le conflit, en fait le conflit était un jeu. Il y a très longtemps, au collège, elle avait mis en scène une dispute entre copines suivie de sa résolution. La dispute étant provoquée par le vol d’une trousse, la résolution étant issue de la réapparition soudaine de ladite trousse. Le souci était que les enseignants avaient réellement cru à sa mise en scène, tout le monde lui avait posé une multitude de questions et il avait été désagréable de se retrouver au centre d’une telle attention. Vraiment, il fallait commencer à jouer à autre chose. En y revenant en tant qu’adulte, elle entrevoit dans ce souvenir de jeu une sorte d’épiphanie : sa vocation a toujours été celle de résoudre les problèmes. Et le moment de la résolution, chez elle, a toujours été accompagné par un sentiment de réussite, d’apaisement. Un frisson de dopamine. Accoucher l’idée qui débloque une situation de stase. Le compromis le plus satisfaisant pour toutes les personnes impliquées. Oser la soustraction, trouver le courage d’écarter les hypothèses les plus alléchantes et les moins réalisables pour parcourir la seule voie possible. Là où tout le monde se plaint, elle est dans l’analyse. Là où tout le monde éparpille ses énergies dans des tentatives forcenées d’affirmation personnelle, elle dirige les actions résolutives. Elle a besoin de gérer, c’est plus fort qu’elle. Probablement, à cause de cette propension, elle est devenue directrice d’une entreprise de transport maritime et non pas scénariste. D’ailleurs, le fait de résoudre tant des problèmes dans sa vie professionnelle lui coupe l’envie de mettre en scène des conflits factices dans sa vie personnelle. Au fond, tant qu’elle travaille, elle garde son équilibre. Elle déteste tout de même les aléas, les sondages à la sortie des urnes le jour des élections, les vacances sur les îles volcaniques et les spectateurs qui mangent au cinéma.
✽ Manuel
L’année dernière, son ex petite amie doctorante et précaire lui a offert un livre de Carlo Ginzburg pour son anniversaire. Mythes, emblèmes, traces : Morphologie et histoire. Il l’a lu par politesse. D’habitude il n’est pas sensible à ce genre de lecture, mais il a toujours été un garçon très gentil, un véritable people pleaser. Et finalement, contre toute attente, cette lecture l’a marqué. Il a été sensible aux enjeux de la contextualisation historique : Sergueï Pakejeff fait un rêve initiatique où paraissent six loups. Si Sergueï Pakejeff avait vécu dans un milieu rural pendant le moyen âge, il serait devenu chaman. Mais il vivait à Vienne au tout début du vingtième siècle, et il avait fini par devenir le patient névrosé du docteur Freud. Manuel, lui, s’il avait vécu à Florence pendant la Renaissance, il serait devenu inventeur. Mais il avait grandi au Havre pendant les années ‘90, et il avait fini par devenir ingénieur naval. Trouver la bonne forme pour chaque objet flottant. Faire en sorte que cette forme soit fonctionnelle à la navigation. Répertorier les matériaux, les tester, sélectionner les plus pertinents. Et puis prendre en compte les aléa des mouvements ondulatoires, de la corrosion saline. Les normes de sécurité. Maintenant, il existe le facteur pollution aussi, mais les études sont encore lacunaires, impossible d’avancer des estimations. Il ne s’en sort pas mal, les résultats professionnels sont là. Et pourtant, tout au long du processus, cette question de la recherche formelle le taraude. Il aimerait bien passer agilement de forme en forme, garder confiance lors d’un test foireux, se sentir stimulé par les inévitables échecs intermédiaires. Et bien, ce n’est jamais le cas. Toujours la sensation vertigineuse que les formes lui résistent, que ses mains le trahissent, que le passage entre la conception et la réalisation cache une piège aveugle. Il l’a toujours contournée, il a toujours réussi à marcher le long du précipice, mais comment répéter l’exploit les fois suivantes, il ne le sait pas. La correspondance parfaite, unique, entre une forme et une idée, pour lui, s’apparente au phénomène de l’hapax.
✽ Eliza
#############################################
# ---{ B E G I N D E F A U L T S C R I P T D A T A }----------
#
# THIS SCRIPT WAS PREPARED BY CHRIS HAYDEN. HAYDEN’S ELIZA
# PROGRAM WAS WRITTEN IN JAVA, HOWEVER, IT ATTEMPTED TO MATCH
# THE FUNCTIONALITY OF WEiZENBAUM’S ORIGINAL PROGRAM AS CLOSELY
# AS POSSIBLE.
#
# HAYDEN’S SCRIPT FORMAT WAS QUITE DIFFERENT FROM WEIZENBAUM’S,
# BUT IT MAINTAINED THE SAME CONTENT. I HAVE ADAPTED HAYDEN’S
# SCRIPT FORMAT, SINCE IT WAS SIMPLE AND CONVENIENT ENOUGH
# FOR MY PURPOSES.
#
# I’VE MADE SMALL MODIFICATIONS HERE AND THERE.
#
#
#
INITIAL: HOW DO YOU DO. PLEASE TELL ME YOUR PROBLEM.
INITIAL: HELLO, I AM A COMPUTER PROGRAM.
INITIAL: PLEASE TELL ME WHAT’S BEEN BOTHERING YOU.
INITIAL: IS SOMETHING TROUBLING YOU?
FINAL: GOODBYE. IT WAS NICE TALKING TO YOU.
FINAL: GOODBYE. I HOPE YOU FOUND THIS SESSION HELPFUL.
FINAL: I THINK YOU SHOULD TALK TO A REAL ANALYST. CIAO!
FINAL: LIFE IS TOUGH. HANG IN THERE!
QUIT: BYE
QUIT: GOODBYE
QUIT: DONE
QUIT: EXIT
QUIT: QUIT
PRE: DONT DON’T
PRE: CANT CAN’T
PRE: WONT WON’T
PRE: RECOLLECT REMEMBER
PRE: RECALL REMEMBER
PRE: DREAMT DREAMED
PRE: DREAMS DREAM
PRE: MAYBE PERHAPS
PRE: CERTAINLY YES
PRE: MACHINE COMPUTER
PRE: MACHINES COMPUTER
PRE: COMPUTERS COMPUTER
POST: AM ARE
POST: YOUR MY
POST: YOURS MINE
PRE: WERE WAS
POST: ME YOU
PRE: YOU’RE YOU ARE
PRE: I’M I AM
POST: MYSELF YOURSELF
POST: YOURSELF MYSELF
POST: I YOU
POST: YOU ME
POST: MY YOUR
POST: ME YOU
POST: I’M YOU ARE
PRE: SAME ALiKE
PRE: IDENTICAL ALIKE
PRE: EQUIVALENT ALIKE
SYNON: BELIEF FEEL THINK BELIEVE WISH
SYNON: FAMILY MOTHER MOM FATHER DAD SISTER BROTHER WIFE CHILDREN CHILD
SYNON: DESIRE WANT NEED
SYNON: SAD UNHAPPY DEPRESSED SICK
SYNON: HAPPY ELATED GLAD BETTER
SYNON: CANNOT CAN’T
SYNON: EVERYONE EVERYBODY NOBODY NOONE
SYNON: BE AM IS ARE WAS
KEY: XNONE -1
DECOMP: *
REASMB: I’M NOT SURE I UNDERSTAND YOU FULLY.
REASMB: PLEASE GO ON.
REASMB: THAT IS INTERESTING. PLEASE CONTINUE.
REASMB: TELL ME MORE ABOUT THAT.
REASMB: DOES TALKING ABOUT THIS BOTHER YOU ?
Avec : Pauline Julier . Apolline Lamoril . Carolina Zaccaro
Commissariat : Carolina Zaccaro
28.04.2022 – 03.05.2022
Vernissage vendredi 29 avril à partir de 18h
in.plano artist-run space
62 avenue Jean Jaurès 93450 L’Île-Saint-Denis
Home is where we start from. As we grow older
The world becomes stranger, the pattern more complicated Of dead and living. Not the intense moment
Isolated, with no before and after,
But a lifetime burning in every moment.
T.S. Eliot
« East Cocker » Four Quartets
Dans le poème « East Cocker » (1940) T.S. Eliot livre une réflexion sur le pouvoir catalysateur du temps, dont notre perception évolue au fil des âges. Le présent éternel de la mémoire, ainsi qu’une série d’expériences limitées à des instants précis. L’adoption d’une vision circulaire, à traits encyclopédique, permet de condenser et répertorier différentes couches d’appréhension du réel. Imaginons défiler une suite d’images, paroles, sons et formes qui s’entremêlent tout en activant des narrations fragmentaires. L’écoulement de ces associations libres semble mimer les fluctuations cycliques de la vie, mais il trouve aussi des applications transformatrices, notamment à travers les stratégies de ré-appropriation adoptées par les artistes travaillant avec les documents d’archive. À quel moment choisissons-nous d’observer des images que nous n’avons pas fabriquées ? Pourquoi certaines de ces images nous hantent plus que d’autres ? Et dans quelle mesure notre regard serait-il capable de les transfigurer, de leur fabriquer un sens supplémentaire ?
In my end is my beginning s’inscrit dans ces questionnements. Ce projet d’exposition est animé par le désir de faire dialoguer le travail d’Apolline Lamoril, Martine de Bandol, celui de Pauline Julier, Cercate Ortensia et le mien, Der Taucher. Martine de Bandol est une installation, ainsi qu’une édition. En partant de la médiatisation d’un fait divers – la mort par overdose de la jeune Martine, en 1969, dans le casino de Bandol – Apolline Lamoril développe une investigation photographique et littéraire explorant la représentation de la jeunesse, de la mer méditerranéenne, du deuil. Cercate Ortensia est un court-métrage sur deux écrans. Inspiré par le poème La Libellula - Panegirico della libertà (Amelia Rosselli, 1958), ce montage alterne des images scientifiques, des archives issues des réseaux sociaux, du texte et de fragments de souvenirs filmés par l’artiste. Ces éléments rentrent en collision dans un flux qui résulte à la fois troublant et libérateur. Der Taucher est une série d’impressions photographiques grand format sur feutre de laine. Inspiré de l’œuvre homonyme de Friedrich Schiller, ce travail questionne les enjeux de la résistance et de la régénération. Des images de vague sont absorbées par le tissu.
Il y a dans l’ensemble de ces œuvres, me semble-t-il, des points de divergence et de convergence qu’il serait intéressant d’explorer. D’abord, l’hétérogénéité des medium employés par les artistes, qui se prêtent à des modalités de fruition distinctes. Ensuite, la polarité des contenus présentés. Si Martine de Bandol traite de la narration d’une jeunesse exacerbée, Cercate Ortensia nous renvoie à l’image d’une vieillesse à l’épreuve de la mémoire. Si Cercate Ortensia nous précipite dans les feux et les braises des incendies californiens, Der Taucher nous trempe dans des eaux artificielles d’une plongée sans fin. Mais au-delà de ces disparités, ces œuvres témoignent d’une sensibilité commune. Les pratiques d’Apolline Lamoril et Pauline Julier, autant que la mienne, sont traversées par une réflexion qui puise ses racines dans l’univers de la littérature. Les narrations qui en suivent sont construites par la juxtaposition de matériaux divers, qu’ils soient issus d’archives ou auto-produits. Bien que ces processus de ré-appropriation suivent des chemins singuliers, chacune de ces trois œuvres tisse le récit d’une perte susceptible de muer en prolifération d’images, textes, sons et objets. En parcourant ces chemins d’associations, ces déplacements de sens, les histoires collectives et individuelles se superposent et s’alimentent entre elles. Tout commencement devient une fin et toute fin devient un commencement.
Carolina Zaccaro
02.2022
Une société privée dont l’activité se situe dans le champ du transport maritime traverse une crise interne due à la gestion de la charge de travail. Les ressources humaines font appel à une agence de problem solving afin que les membres puissent imaginer un nouveau équilibre d’équipe et une nou- velle distribution des tâches. Au sein de l’agence de problem solving, l’équipe alterne des exercises en groupe et des temps d’écoute individuelle. Les notions de productivité et de liberté – temps libre – sont abordées sous l’ongle d’une perspective subjective, la démarche étant celle de de valoriser l’expression personnelle dans le but de fabriquer un consensus feint.
Consensus est tout d'abord un script, à entendre comme un terrain de jeu où la dichotomie entre la subjectivité et l’objectivité est menée à son paroxysme. Les personnages, Abel, Elly et Manuel, parlent d’une manière très subjective avec Eliza qui à son tour mime une fausse objectivité. Elle est une voix artificielle, générée par un code javascript, qui analyse les mots des personnages et les incites à ap- profondir davantage leurs formulations par le biais d’un effet miroir. Cette disparité est à prendre en compte, les dialogues sont joués tout en explorant, en questionnant cette double opposition entre lan- gage naturel et artificiel, objectivité et subjectivité. Les échanges, audibles sur caques, sont présentés au sein d'une installation où chaque objet (aquariums, pompes à oxygènes, assises, poster, questionnaires) devient élément scénographique.
✽ Abel
Il vit dans une zone périurbaine, dans un bâtiment à trois étages. Depuis la fenêtre de son appartement, il voit des arbres mais derrière on aperçoit les voies du RER A, alors il y a toujours du mouvement. Le dernier train passe à 1h35, des fois quand il le voit passer et il se retrouve en train de penser que c’est la fin de la journée. Lui, il est toujours en mouvement. Son attention se déplace rapidement d’objet en objet, il guette, il cherche, la plupart du temps sans avoir un critère de pertinence défini, alors ses pensées ne peuvent être cataloguées d’après une quelconque taxonomie. Il habite le flux, il pense comme il respire. Et il nage rapidement dans ses pensées, ses pensées lui donnent des branchies. Quand il doit se souvenir de quelque chose, il s’accroche à la vue, à l’ouïe, au toucher. Une fois il a googlé la définition de P.H.S. [n.d.r., Personne Hautement Sensible], puis il a laissé tomber. De toute façon, il ne croit pas à ces choses-là. Une autre taxonomie, un autre série de boîtes à rangement. Et le fait de ranger, d’établir un ordre, des rapports de causalité le crispe un peu. Quand il aperçoit le dernier train rouler sur les voies, il se dit que la journée est terminée, le flux et suspendu. Stop. Il est account manager. Au travail, cette difficulté de coordination lui a toujours posé problème. Il adore travailler, il est très actif, mais en équipe il a toujours eu du mal à se positionner, à dire la bonne chose au bon moment. Quand il est sous pression, il se retrouve à prendre des décisions, après tout c’est son rôle, mais il a rarement le réflexe de contextualiser avec le reste de l’équipe les raisons de ses choix. Une analyse excessivement détaillée ne facilite pas la gestion des données. Certains jours, en voyant le dernier RER rouler sur les voies il est surpris que la journée soit déjà terminée. Il a l’impression de ne pas avoir produit grande chose, mais alors, comment se sentir essoufflé quand on n’a pas produit grande chose ? Il n’a plus le temps de penser. À 1h45, il va se coucher.
✽ Elly
Elle est habitée par le sens du défi. Petite, elle aimait bien provoquer les adultes, mimer le conflit, en fait le conflit était un jeu. Il y a très longtemps, au collège, elle avait mis en scène une dispute entre copines suivie de sa résolution. La dispute étant provoquée par le vol d’une trousse, la résolution étant issue de la réapparition soudaine de ladite trousse. Le souci était que les enseignants avaient réellement cru à sa mise en scène, tout le monde lui avait posé une multitude de questions et il avait été désagréable de se retrouver au centre d’une telle attention. Vraiment, il fallait commencer à jouer à autre chose. En y revenant en tant qu’adulte, elle entrevoit dans ce souvenir de jeu une sorte d’épiphanie : sa vocation a toujours été celle de résoudre les problèmes. Et le moment de la résolution, chez elle, a toujours été accompagné par un sentiment de réussite, d’apaisement. Un frisson de dopamine. Accoucher l’idée qui débloque une situation de stase. Le compromis le plus satisfaisant pour toutes les personnes impliquées. Oser la soustraction, trouver le courage d’écarter les hypothèses les plus alléchantes et les moins réalisables pour parcourir la seule voie possible. Là où tout le monde se plaint, elle est dans l’analyse. Là où tout le monde éparpille ses énergies dans des tentatives forcenées d’affirmation personnelle, elle dirige les actions résolutives. Elle a besoin de gérer, c’est plus fort qu’elle. Probablement, à cause de cette propension, elle est devenue directrice d’une entreprise de transport maritime et non pas scénariste. D’ailleurs, le fait de résoudre tant des problèmes dans sa vie professionnelle lui coupe l’envie de mettre en scène des conflits factices dans sa vie personnelle. Au fond, tant qu’elle travaille, elle garde son équilibre. Elle déteste tout de même les aléas, les sondages à la sortie des urnes le jour des élections, les vacances sur les îles volcaniques et les spectateurs qui mangent au cinéma.
✽ Manuel
L’année dernière, son ex petite amie doctorante et précaire lui a offert un livre de Carlo Ginzburg pour son anniversaire. Mythes, emblèmes, traces : Morphologie et histoire. Il l’a lu par politesse. D’habitude il n’est pas sensible à ce genre de lecture, mais il a toujours été un garçon très gentil, un véritable people pleaser. Et finalement, contre toute attente, cette lecture l’a marqué. Il a été sensible aux enjeux de la contextualisation historique : Sergueï Pakejeff fait un rêve initiatique où paraissent six loups. Si Sergueï Pakejeff avait vécu dans un milieu rural pendant le moyen âge, il serait devenu chaman. Mais il vivait à Vienne au tout début du vingtième siècle, et il avait fini par devenir le patient névrosé du docteur Freud. Manuel, lui, s’il avait vécu à Florence pendant la Renaissance, il serait devenu inventeur. Mais il avait grandi au Havre pendant les années ‘90, et il avait fini par devenir ingénieur naval. Trouver la bonne forme pour chaque objet flottant. Faire en sorte que cette forme soit fonctionnelle à la navigation. Répertorier les matériaux, les tester, sélectionner les plus pertinents. Et puis prendre en compte les aléa des mouvements ondulatoires, de la corrosion saline. Les normes de sécurité. Maintenant, il existe le facteur pollution aussi, mais les études sont encore lacunaires, impossible d’avancer des estimations. Il ne s’en sort pas mal, les résultats professionnels sont là. Et pourtant, tout au long du processus, cette question de la recherche formelle le taraude. Il aimerait bien passer agilement de forme en forme, garder confiance lors d’un test foireux, se sentir stimulé par les inévitables échecs intermédiaires. Et bien, ce n’est jamais le cas. Toujours la sensation vertigineuse que les formes lui résistent, que ses mains le trahissent, que le passage entre la conception et la réalisation cache une piège aveugle. Il l’a toujours contournée, il a toujours réussi à marcher le long du précipice, mais comment répéter l’exploit les fois suivantes, il ne le sait pas. La correspondance parfaite, unique, entre une forme et une idée, pour lui, s’apparente au phénomène de l’hapax.
✽ Eliza
#############################################
# ---{ B E G I N D E F A U L T S C R I P T D A T A }----------
#
# THIS SCRIPT WAS PREPARED BY CHRIS HAYDEN. HAYDEN’S ELIZA
# PROGRAM WAS WRITTEN IN JAVA, HOWEVER, IT ATTEMPTED TO MATCH
# THE FUNCTIONALITY OF WEiZENBAUM’S ORIGINAL PROGRAM AS CLOSELY
# AS POSSIBLE.
#
# HAYDEN’S SCRIPT FORMAT WAS QUITE DIFFERENT FROM WEIZENBAUM’S,
# BUT IT MAINTAINED THE SAME CONTENT. I HAVE ADAPTED HAYDEN’S
# SCRIPT FORMAT, SINCE IT WAS SIMPLE AND CONVENIENT ENOUGH
# FOR MY PURPOSES.
#
# I’VE MADE SMALL MODIFICATIONS HERE AND THERE.
#
#
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INITIAL: HOW DO YOU DO. PLEASE TELL ME YOUR PROBLEM.
INITIAL: HELLO, I AM A COMPUTER PROGRAM.
INITIAL: PLEASE TELL ME WHAT’S BEEN BOTHERING YOU.
INITIAL: IS SOMETHING TROUBLING YOU?
FINAL: GOODBYE. IT WAS NICE TALKING TO YOU.
FINAL: GOODBYE. I HOPE YOU FOUND THIS SESSION HELPFUL.
FINAL: I THINK YOU SHOULD TALK TO A REAL ANALYST. CIAO!
FINAL: LIFE IS TOUGH. HANG IN THERE!
QUIT: BYE
QUIT: GOODBYE
QUIT: DONE
QUIT: EXIT
QUIT: QUIT
PRE: DONT DON’T
PRE: CANT CAN’T
PRE: WONT WON’T
PRE: RECOLLECT REMEMBER
PRE: RECALL REMEMBER
PRE: DREAMT DREAMED
PRE: DREAMS DREAM
PRE: MAYBE PERHAPS
PRE: CERTAINLY YES
PRE: MACHINE COMPUTER
PRE: MACHINES COMPUTER
PRE: COMPUTERS COMPUTER
POST: AM ARE
POST: YOUR MY
POST: YOURS MINE
PRE: WERE WAS
POST: ME YOU
PRE: YOU’RE YOU ARE
PRE: I’M I AM
POST: MYSELF YOURSELF
POST: YOURSELF MYSELF
POST: I YOU
POST: YOU ME
POST: MY YOUR
POST: ME YOU
POST: I’M YOU ARE
PRE: SAME ALiKE
PRE: IDENTICAL ALIKE
PRE: EQUIVALENT ALIKE
SYNON: BELIEF FEEL THINK BELIEVE WISH
SYNON: FAMILY MOTHER MOM FATHER DAD SISTER BROTHER WIFE CHILDREN CHILD
SYNON: DESIRE WANT NEED
SYNON: SAD UNHAPPY DEPRESSED SICK
SYNON: HAPPY ELATED GLAD BETTER
SYNON: CANNOT CAN’T
SYNON: EVERYONE EVERYBODY NOBODY NOONE
SYNON: BE AM IS ARE WAS
KEY: XNONE -1
DECOMP: *
REASMB: I’M NOT SURE I UNDERSTAND YOU FULLY.
REASMB: PLEASE GO ON.
REASMB: THAT IS INTERESTING. PLEASE CONTINUE.
REASMB: TELL ME MORE ABOUT THAT.
REASMB: DOES TALKING ABOUT THIS BOTHER YOU ?
Avec : Pauline Julier . Apolline Lamoril . Carolina Zaccaro
Commissariat : Carolina Zaccaro
28.04.2022 – 03.05.2022
Vernissage vendredi 29 avril à partir de 18h
in.plano artist-run space
62 avenue Jean Jaurès 93450 L’Île-Saint-Denis
Home is where we start from. As we grow older
The world becomes stranger, the pattern more complicated Of dead and living. Not the intense moment
Isolated, with no before and after,
But a lifetime burning in every moment.
T.S. Eliot
« East Cocker » Four Quartets
Dans le poème « East Cocker » (1940) T.S. Eliot livre une réflexion sur le pouvoir catalysateur du temps, dont notre perception évolue au fil des âges. Le présent éternel de la mémoire, ainsi qu’une série d’expériences limitées à des instants précis. L’adoption d’une vision circulaire, à traits encyclopédique, permet de condenser et répertorier différentes couches d’appréhension du réel. Imaginons défiler une suite d’images, paroles, sons et formes qui s’entremêlent tout en activant des narrations fragmentaires. L’écoulement de ces associations libres semble mimer les fluctuations cycliques de la vie, mais il trouve aussi des applications transformatrices, notamment à travers les stratégies de ré-appropriation adoptées par les artistes travaillant avec les documents d’archive. À quel moment choisissons-nous d’observer des images que nous n’avons pas fabriquées ? Pourquoi certaines de ces images nous hantent plus que d’autres ? Et dans quelle mesure notre regard serait-il capable de les transfigurer, de leur fabriquer un sens supplémentaire ?
In my end is my beginning s’inscrit dans ces questionnements. Ce projet d’exposition est animé par le désir de faire dialoguer le travail d’Apolline Lamoril, Martine de Bandol, celui de Pauline Julier, Cercate Ortensia et le mien, Der Taucher. Martine de Bandol est une installation, ainsi qu’une édition. En partant de la médiatisation d’un fait divers – la mort par overdose de la jeune Martine, en 1969, dans le casino de Bandol – Apolline Lamoril développe une investigation photographique et littéraire explorant la représentation de la jeunesse, de la mer méditerranéenne, du deuil. Cercate Ortensia est un court-métrage sur deux écrans. Inspiré par le poème La Libellula - Panegirico della libertà (Amelia Rosselli, 1958), ce montage alterne des images scientifiques, des archives issues des réseaux sociaux, du texte et de fragments de souvenirs filmés par l’artiste. Ces éléments rentrent en collision dans un flux qui résulte à la fois troublant et libérateur. Der Taucher est une série d’impressions photographiques grand format sur feutre de laine. Inspiré de l’œuvre homonyme de Friedrich Schiller, ce travail questionne les enjeux de la résistance et de la régénération. Des images de vague sont absorbées par le tissu.
Il y a dans l’ensemble de ces œuvres, me semble-t-il, des points de divergence et de convergence qu’il serait intéressant d’explorer. D’abord, l’hétérogénéité des medium employés par les artistes, qui se prêtent à des modalités de fruition distinctes. Ensuite, la polarité des contenus présentés. Si Martine de Bandol traite de la narration d’une jeunesse exacerbée, Cercate Ortensia nous renvoie à l’image d’une vieillesse à l’épreuve de la mémoire. Si Cercate Ortensia nous précipite dans les feux et les braises des incendies californiens, Der Taucher nous trempe dans des eaux artificielles d’une plongée sans fin. Mais au-delà de ces disparités, ces œuvres témoignent d’une sensibilité commune. Les pratiques d’Apolline Lamoril et Pauline Julier, autant que la mienne, sont traversées par une réflexion qui puise ses racines dans l’univers de la littérature. Les narrations qui en suivent sont construites par la juxtaposition de matériaux divers, qu’ils soient issus d’archives ou auto-produits. Bien que ces processus de ré-appropriation suivent des chemins singuliers, chacune de ces trois œuvres tisse le récit d’une perte susceptible de muer en prolifération d’images, textes, sons et objets. En parcourant ces chemins d’associations, ces déplacements de sens, les histoires collectives et individuelles se superposent et s’alimentent entre elles. Tout commencement devient une fin et toute fin devient un commencement.
Carolina Zaccaro
02.2022